REPORTAGE – Pour certaines patientes qui ne souhaitent pas subir d’anesthésie générale, il est parfois possible d’intervenir sous hypnose.
Mardi, 10 h 12, bloc opératoire de l’Institut Curie. La vision est saisissante pour l’observateur qui se place à l’endroit où un vaste champ opératoire stérile sépare la tête de la patiente du reste de son corps. D’un côté, la malade en état hypnotique capable de parler, de l’autre son corps soumis sous le scalpel du chirurgien.
Côté corps, le sein droit est largement ouvert depuis que la chirurgienne-oncologue, le Dr Séverine Alran, en a ôté un morceau de la taille d’une grosse noix. «Je sens bien la tumeur (cancer, NDLR)», commente le Dr Alran en écrasant délicatement entre ses doigts la pièce anatomique dans laquelle se niche un cancer d’un peu moins de 1 cm de diamètre.
Côté tête, c’est le territoire du Dr Aurore Marcou secondée de Tania, l’infirmière anesthésiste qui veille sur les différents capteurs pour signaler la moindre anomalie. Car depuis le début de l’intervention, 50 minutes plus tôt, le docteur Marcou est complètement concentré sur sa patiente éveillée. Elle ne cesse de lui parler d’une voix douce et monocorde.
Éveillée? Pas tout à fait. Plutôt maintenue à un stade de conscience modifiée appelé état hypnotique. «J’entendais tout, j’étais dans un demi-sommeil, racontera la patiente, Danièle, âgée de 66 ans, une demi-heure après l’intervention, je me rappelle avoir entendu la chirurgienne dire que le ganglion sentinelle était négatif.» Car sous hypnose on se souvient de l’intervention.
Elle aussi opérée sous hypnose il y a quelques mois pour une mastectomie partielle, Marie-Claudine se souvient très bien avoir «parlé bateau» avec la chirurgienne en cours d’intervention: «Je venais de refaire mentalement l’ascension du Kilimandjaro. Je l’ai faite il y a quelques années. Un très bon souvenir», raconte-t-elle.
«Le rôle du médecin hypnothérapeute est d’accompagner la patiente dans un univers chaleureux, plein de sensations et de souvenirs agréables», explique le Dr Marcou. Au moment où le scalpel du Dr Alran était à la recherche du ganglion sentinelle à ôter au fond du creux axillaire, le Dr Marcou murmurait à l’oreille de Danièle, téléportée sur la plage de Valras: «Vous sentez l’eau vous caresser les orteils, cette fraîcheur se glisse autour de vos chevilles. Vous profitez pleinement de ces sensations.»
Pourquoi avoir choisi l’hypnosédation plutôt que le «confort» de l’anesthésie générale? «Ce qui me faisait le plus peur, ce n’était pas l’opération mais l’anesthésie générale, répond Danièle. C’est ma douzième intervention chirurgicale et je n’ai pas toujours eu des réveils faciles. Celle-là, je peux vous dire que je la referai si c’était nécessaire», ajoute-t-elle.
«Un véritable triangle de confiance»
«Les patientes sont préparées de la même façon pour une opération sous hypnose que pour une intervention classique, insiste le Dr Marcou, par contre nous utilisons des produits qui n’ont pas d’effet sur la pression artérielle, la respiration ou la conscience.» D’où le réveil ou, pour être exact, l’émergence de l’état hypnotique aussi facile que la sortie d’un rêve éveillé.
Peut-on tout de même avoir mal pendant l’intervention? «Lors de mon opération, raconte Marie-Claudine, il y a eu deux moments où j’ai ressenti une petite douleur, je l’ai signalée à l’anesthésiste qui a aussitôt fait ce qu’il fallait.» Car bien sûr, la patiente est perfusée et hydratée dans les conditions d’un bloc traditionnel.
«La patiente reçoit un morphinique de très courte durée d’action pendant l’intervention et une dose permettant de couvrir la période postopératoire», détaille l’anesthésiste. Avant l’intervention, pas besoin de prémédication mais, bien sûr, une anesthésie locale sur les zones de la peau qui vont être incisées.
«C’est un véritable triangle de confiance qui se noue entre soi, l’anesthésiste et le chirurgien, se souvient Marie-Claudine. On perçoit très bien l’harmonie qui se tisse.» Une harmonie tellement forte qu’elle peut même parfois dépasser son objectif. Un collègue anesthésiste-hypnothérapeute m’a raconté que pendant une intervention c’est le chirurgien qui lui a demandé d’arrêter un instant de parler car il était lui aussi en train de glisser vers un état de conscience modifié.