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Quelques heures après sa séance d’hypnose, Cédric est encore un peu partagé. C’est la deuxième fois qu’il a recours à cette technique pour arrêter de fumer. Il y a deux ans et demi, une seule séance avait suffi pour régler le problème. « L’hypnothérapeute m’a fait expérimenter le passage de la fumée dans la trachée et les poumons, en me faisant mesurer les dégâts provoqués. En sortant je n’ai plus ressenti le besoin de fumer », précise-t-il. Un sevrage immédiat ! Mais ce consultant de 36 ans a peu à peu baissé la garde et, en une seule soirée, c’était reparti : plus d’un paquet par jour. Pour cette seconde tentative Cédric pressent que ça pourrait être un peu plus long. Mais il y croit.
Magique, l’hypnose ? Son succès, en tout cas, ne fait plus mystère. Depuis quelques années c’est même l’une des thérapies vedettes en France. Il est vrai que la promesse est alléchante. Elle se propose de soigner,en quelques séances seulement, aussi bien des addictions que des phobies, ou des problématiques plus globales de mal-être, sources de stress ou d’angoisses. Sans parler de sa percée à l’hôpital avec une finalité médicale, pour soulager les douleurs chroniques ou pour réduire les doses d’anesthésie – sinon les supprimer – durant les opérations chirurgicales (voir encadré ci-contre). Bref, un remède à large spectre, auquel on a d’autant plus facilement recours que l’offre est désormais foisonnante. « Pendant longtemps, après leurs études, les psychiatres et les psychologues s’orientaient vers la psychanalyse, aujourd’hui beaucoup choisissent l’hypnose », souligne le psychologue et hypnothérapeute Daniel Goldschmidt.
Venu des Etats-Unis, le mouvement a pour origine les travaux d’un psychiatre visionnaire, Milton Erickson. Fondateur en 1957 de l’American Society of Clinical Hypnosis, il a refondé cette approche thérapeutique qui faisait longtemps partie du paysage médical. Le neurologue français Jean-Martin Charcot la pratiquait déjà en 1878 à l’hôpital de la Salpêtrière pour soigner l’hystérie. Sigmund Freud en avait été un fervent partisan, avant de critiquer le procédé qui selon lui empêchait d’aller à la source du problème de l’analysé. Ce qui a porté un coup à son développement. Milton Erickson a mis notamment au point une technique d’induction plus légère qui ne plonge pas le patient dans une transe profonde et fait davantage reposer la guérison sur ses propres ressources et capacités d’adaptation. A l’inverse de l’approche freudienne qui s’efforce de comprendre pourquoi ça ne va pas – quitte à y passer des années –, l’hypnose concentre toute son énergie sur comment aller mieux. Et c’est sans doute l’une des raisons de son succès.
Sait-on pour autant comment fonctionne l’hypnose ? Quel est le principe thérapeutique à l’œuvre ? L’imagerie médicale a permis de mettre en évidence que sous hypnose plusieurs régions cérébrales s’activaient différemment que dans l’état de veille, notamment celles liées aux processus de l’attention et des images mentales. De nombreuses études ont montré que les suggestions hypnotiques provoquaient de vraies réponses neuronales. Par exemple, lorsqu’on demande à une personne sous hypnose de voir en couleurs une palette de dégradés de gris, c’est bien la zone du cerveau impliquée dans la reconnaissance des couleurs qui s’active. On sait donc objectiver l’effet mais sans vraiment l’expliquer.
A en croire Milton Erickson, cet état hypnotique n’a pourtant rien d’irrationnel. C’est un phénomène naturel que chacun peut expérimenter à tout moment, sans même l’aide d’un thérapeute. Ce dernier a juste appris à l’induire chez la personne. Il s’agirait d’un état modifié de conscience, ne relevant ni de la vigilance ni du sommeil, dans lequel celle-ci serait en contact à la fois avec son conscient et son inconscient. Dans une forme d’unité où des rééquilibrages psychocorporels pourraient survenir quasi naturellement. « Beaucoup de pathologies se fixent parce que l’individu cherche à tout contrôler, ce qui crée toutes sortes de tensions et de douleurs, indique le docteur Jean-Marc Benhaiem, praticien hospitalier et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. En hypnose on suggère au patient de se laisser faire par la vie, de la laisser agir sur lui. » Quitte, au besoin, à se montrer plus directif. « L’inconscient peut être un formidable médecin, assure Daniel Goldschmidt. On peut lui demander d’effacer une croyance, voire même une mémoire toxique. »
En dépit d’un aspect un peu sulfureux, véhiculé par l’hypnose de spectacle, les techniques d’induction n’ont en réalité rien de très… sorcier (voir encadré page 68) : « 80% d’entre elles consistent à demander à la personne de focaliser son attention sur un point, une lumière, ou de se visualiser dans un environnement de bien-être », décrit Antoine Bioy, professeur de psychopathologie et psychologie médicale. L’objectif étant surtout de couper la personne de son intellect. « La clef, c’est la perte de contrôle », affirme Jean-Marc Benhaiem. Pour cela on peut aussi créer la confusion en avançant un argument suffisamment complexe pour que le cerveau renonce à traiter l’information. Par exemple : « Je ne sais pas ce que vous avez mangé hier quand aujourd’hui n’était pas encore demain… » La voix monocorde du thérapeute participe aussi au relâchement corporel et, au-delà, à l’ébranlement de l’édifice de certitudes accumulées sur son propre compte. Dernier détail, pour que ça marche le thérapeute doit convaincre le patient de la puissance du procédé. « C’est surtout ça qui fait l’hypnotiseur », souligne Daniel Goldschmidt. Ce qui n’empêche pas chaque praticien de cultiver son propre style. D’autant que, à en croire les manuels, il y aurait différents types d’hypnose (voir encadré ci-contre) qui tous prétendent s’attaquer à la même palette de plaintes et de souffrances.
Phobies et addictions sont probablement les motifs de consultation les plus courants. Dans le premier cas, le thérapeute va essayer de faire vivre sous hypnose une situation phobique mais qui sera débarrassée du symptôme. Sylvano, un infirmier de 35 ans effrayé par la vitesse en voiture, et qui avait pour cette raison raté son permis, a pu se visualiser circulant sur l’autoroute au cours de ses séances. « La peur n’a pas totalement disparu mais désormais j’arrive à la contrôler », constate-t-il. Parfois l’hypnotiseur doit aussi faire preuve de créativité. Ainsi, Daniel Goldschmidt n’a pas hésité à emmener son patient phobique faire une séance dans un ascenseur. Pour sa part, Jean-Marc Benhaiem a suggéré à un skieur incapable de monter sur un télésiège de se représenter en caisse en carton livrée au restaurant d’altitude et dont le patient se disait convaincu qu’elle ne risquait pas de tomber. « Ça ne marche que si la personne accepte de faire pleinement l’expérience proposée », précise le thérapeute.
Bref, il doit y avoir « embodiment » (incarnation), autrement dit vécu corporel. « Des études ont prouvé que, ce faisant, on agit réellement au niveau neurologique en créant de nouvelles connexions », ajoute Antoine Bioy. Le principe est le même pour les addictions. « On projette le patient en lui demandant, par exemple, de se vivre comme un non-fumeur. On crée ainsi une fausse réalité qui va se transformer en début de situation réelle », analyse Daniel Goldschmidt. Le thérapeute peut aussi essayer d’introduire dans l’inconscient une sensation de dégoût qui va remonter à chaque fois que l’intéressé aura le réflexe de « s’en griller une ».
Trouver le niveau de contrôle adéquat
Beaucoup de patients arrivent aussi chez l’hypnothérapeute perturbés par une image choc en tête dont ils ne parviennent pas à se débarrasser, par exemple la vision d’un accident de voiture. Il s’agit alors de leur faire revivre la scène de façon distanciée, comme si elles la visionnaient au cinéma. Mais pas question pour un praticien responsable de partir à la recherche de prétendues mémoires traumatisantes enfouies. « On sait aujourd’hui que la notion de souvenir peut être équivoque, car on a tendance à les rejouer en permanence de manière différente. Il y a donc danger de créer de faux souvenirs », met en garde Jean-Marc Benhaiem. Le stress mal géré est, par contre, une cause fréquente de consultation. « Il est souvent associé à un degré de vigilance disproportionné », indique Antoine Bioy. « Tout le travail consiste à amener le patient à mobiliser le niveau de contrôle adéquat pour chaque situation. »
Parfois, la problématique initiale peut évoluer en séance vers l’ouverture de portes mentales inattendues. Une expérience vécue par Marie Michel. Accusant plus de 100 kg sur la balance, elle ne pensait qu’à perdre du poids. Et elle y est arrivée de façon spectaculaire, fondant de 40 kg en huit mois. « Le thérapeute m’a fait ressentir sous hypnose ce qu’était la vraie faim. Je me suis alors rendu compte que je ne l’attendais pas pour me mettre à grignoter. Depuis les fruits et légumes ont remplacé les gâteaux et les pâtisseries dans mon cabas. » Puis, au fil des séances cette ex-secrétaire de 57 ans a vu remonter d’autres traumatismes : la culpabilité liée au décès de son père alors qu’elle avait 9 ans, le choc de la mort de son chien écrasé sous ses yeux, le harcèlement vécu au travail… « A chaque fois que je réglais un problème, un autre surgissait. Mais j’ai choisi de les affronter. Aujourd’hui j’ai l’impression de revivre. J’aborde toutes les difficultés de l’existence avec beaucoup plus de recul. »
Toutes les thérapies n’aboutissent pas à des résultats aussi probants. Certaines personnes ne répondent pas à l’hypnose. « Trop en autocontrôle, elles vont saboter tous les efforts du thérapeute, précise Daniel Goldschmidt. Souvent, elles n’ont pas envie de sortir de leur névrose et résistent à elles-mêmes. » On peut aussi imaginer que le praticien n’a pas su trouver la faille… Ou n’a pas réussi à induire l’état recherché. « Je ne suis pas réceptif aux méthodes douces basées sur des visualisations », remarque ainsi Cédric qui a pratiqué plusieurs hypnothérapeutes. « Il me faut des approches plus directes. » Dans tous les cas, il n’y a aucune garantie de réussite et l’hypnose ne fait pas de miracles. « Sur le tabac, les études prouvent qu’à deux ans, nous avons 20% de succès, soit à peine mieux que les autres thérapies. L’hypnose facilite la décision d’arrêter de fumer chez quelqu’un qui a de bonnes raisons de le faire mais si le plaisir de continuer est plus fort, ça ne marchera pas », reconnaît Antoine Bioy.
Si la science s’y intéresse de plus en plus, les études cliniques fournissent néanmoins des résultats contrastés. La plus récente publiée par l’Inserm en juin 2015 a notamment montré que cette technique est relativement efficace dans le traitement du syndrome du côlon irritable ; qu’elle permet de réduire la prise d’antalgiques et de sédatifs pendant les interventions chirurgicales et même, dans certains cas, d’opérer sous simple anesthésie locale. En revanche, elle l’est beaucoup moins dans la gestion de la douleur lors de soins dentaires ou pendant l’accouchement, voire pour prévenir la dépression post-partum. Ses auteurs reconnaissent néanmoins que les méthodologies classiques d’évaluation ne sont pas vraiment adaptées à l’hypnose qui agit sur le ressenti subjectif de la douleur. « La médecine scientifique a encore du mal à appréhender ce que nous faisons, souligne Jean-Marc Benhaiem. Elle cherche à modéliser alors que nous travaillons sur la singularité de la personne.Si l’hypnose a besoin de la science pour progresser et être reconnue, la science a besoin de l’hypnose afin d’élargir son champ de vision et devenir un peu plus… “déraisonnable”. »
Vingt personnes allongées sur scène poussant leur premier cri en revivant leur naissance… Une fois hypnotisés, les « cobayes » du « fascinateur » canadien Messmer répondent comme un seul homme à toutes ses suggestions les plus improbables. Comment fait-il ? Et quel rapport y a-t-il entre cette hypnose de spectacle et celle des thérapeutes ? « La finalité est différente mais ce sont bien les mêmes principes d’induction qui sont employés », admet le praticien Antoine Bioy. Sauf que Messmer fait son marché au préalable, en sélectionnant les individus les plus réceptifs via notamment le test des mains jointes. Seuls les spectateurs qui n’arrivent pas à les décoller après qu’il leur a intimé que c’était impossible, peuvent monter sur scène où ils subissent alors une deuxième sélection. Un autre phénomène serait également à l’œuvre : « l’effet foule ». « En groupe, il peut se produire une sorte de transe par contagion ou mimétisme », précise Antoine Bioy. Ce qui n’enlève rien au talent de l’artiste. « Même en thérapie un bon hypnotiseur est un peu comédien et recourt à une forme de mise en scène », assure Daniel Goldschmidt. Deux univers pas si éloignés.
Anesthésie : à l’égal de la morphine
Temples du cartésianisme médical, les hôpitaux sont de plus en plus nombreux à ouvrir leur porte à l’hypnose. « Aujourd’hui 60% des centres de traitement de la douleur proposent une consultation de ce type », assure le docteur Jean-Marc Benhaiem qui a lancé le mouvement en 1982 à l’hôpital Amboise Paré de Boulogne-Billancourt. Il est aussi à l’origine du premier diplôme universitaire d’hypnose en 2000 à l’intention du personnel médical. Il en existe aujourd’hui près d’une douzaine, destinés notamment aux anesthésistes. L’hypnose gagne en effet les blocs opératoires, où elle est employée pour diminuer, ou éviter, les doses d’anesthésiant. « La douleur n’est qu’une information parmi d’autres envoyée au cerveau, explique le psychologue Antoine Bioy qui a pratiqué pendant quinze ans en service de soins palliatifs. Grâce à l’hypnose on peut détourner l’attention du patient de ces stimuli, diminuant leur intensité dans des proportions au moins égales à celles de la morphine. » Les techniques employées doivent être rapides et efficaces donc plus directives. « On intervient juste avant l’opération en invitant le patient à rentrer dans une histoire agréable », précise l’hypnothérapeute. Mais il faut le relancer en cours d’intervention car, faute de stimulation, il y a retour à la conscience au bout de dix à quinze minutes. » Ce qui, dans ce contexte, peut être assez gênant !
Classique, ericksonienne, nouvelle, humaniste… A en croire la littérature spécialisée, l’hypnose est multiple. Dans la forme la plus traditionnelle, elle donne au thérapeute un rôle plus directif. Il est censé plonger son patient dans une transe profonde à partir de laquelle il agit sur lui par suggestion.
L’hypnose ericksonienne est souvent décrite comme plus légère et indirecte. Le patient demeure très conscient de son environnement et participe à sa guérison.
La « nouvelle hypnose » découle des enseignements du « maître » américain adaptés par ses disciples aux attentes de l’époque. De là sont nées d’autres « écoles ». Mais pour le psychologue Daniel Goldschmidt toutes ces classifications n’ont pas vraiment lieu d’être. « Il n’y a qu’une seule hypnose, avec différentes façons de l’induire, assure-t-il. Un bon hypnothérapeute devrait savoir toutes les pratiquer en fonction de la problématique du patient. » Encore faut-il, selon lui, être capable de plonger la personne dans un état de transe profonde. « L’hypnose ce n’est pas juste de la relaxation ! »
Une critique a peine déguisée de l’explosion, ces dernières années, de formations qui ont lancé sur le marché des bataillons de praticiens dénués d’expérience thérapeutique. Comme beaucoup d’autres psychothérapies la pratique de l’hypnose n’est pas réglementée. A chacun de choisir.
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